AU SOUFFLE DE L'ESPRIT

Prière et action

 

 

INTRODUCTION

 

Quelle est l'intention de ce livre ?

La réponse appartient avant tout au Père Marie-Eugène de l'Enfant-Jésus, auteur de cet enseignement.

Voici ce qu'il nous dit :

Notre époque est assoiffée de Dieu, a faim de Dieu.

Cette faim de Dieu, on la sent non seulement dans les âmes, dans les yeux, mais on la sent dans tous les auditoires lorsqu'on leur parle de Dieu.

Car, vous le savez comme moi, que nous demande-t-on ?

De parler de Dieu...1.

 

Toutes les conférences orales retranscrites et rassemblées pour former ce volume, témoignent du souffle théologal qui animait le Père Marie-Eugène dans sa vie et dans son enseignement2. C'est ce souffle qui fait l'unité de la doctrine qu'il nous donne sur Dieu et la vie chrétienne, sur la prière et l'apostolat.

 

En effet, le Père Marie-Eugène nous parle, de façon presque exclusive, de Dieu et des relations de grâce qui unissent l'homme à Dieu dans le Christ. Par elles. Dieu se découvre à l'homme, fait de lui l'instrument de son action dans le monde et le conduit à la sainteté. Par elles et en elles, l'homme trouve son plein accomplissement, sa dignité d'enfant de Dieu et la ressemblance avec le Christ Jésus.

 

Mais, si le langage est spirituel et uniquement spirituel3, le Père Marie-Eugène souligne cependant comment toutes les réalités humaines, les plus humbles — celles de la vie quotidienne — comme les plus vastes — celles de l'histoire des peuples —, trouvent dans cette lumière théologale leur signification et leur valeur. Il nous invite alors à prendre pleinement conscience de ces richesses de grâce que Dieu a déposées en nous, à en faire l'inventaire pour les faire nôtres, à leur soumettre toute notre vie, car " prendre conscience de ces réalités, (...) c'est tâche chrétienne, tâche de tous les hommes et de tous les baptisés "4.

Dignité et beauté de l'homme en Dieu

 

Tout au long de ces conférences, le Père Marie-Eugène contemple l'homme dans la lumière de sa participation à la vie divine. L'homme est vu, dans son origine et sa destinée, avec le regard de Dieu :

En nous créant. Dieu nous a vus sur le plan de son intimité. S'il nous a lancés dans le monde, c'est afin que nous remontions vers lui, à la place qu'il nous a fixée dans le Corps mystique du Christ et dans la vie trinitaire des trois Personnes divines5.

 

Ce regard révèle l'homme à lui-même dans sa vocation et sa dignité d'enfant de Dieu6. Pour accomplir sa vocation " le chrétien doit connaître sa dignité "7.

 

Cette dignité trouve son témoignage le plus éclatant dans la sainteté à laquelle l'homme est appelé8. Elle est source des devoirs les plus beaux : ceux de la prière et de la sanctification, de l'humble soumission à l'Esprit Saint, du témoignage et de l'apostolat. Et si elle détermine un véritable " droit " du baptisé pour réaliser sa vocation9, elle n'en demande pas moins une fidélité et un amour toujours grandissants pour porter son fruit de sainteté : " C'est une dignité exigeante ! "10

 

Le chrétien reçoit cette dignité et cette beauté par sa participation à la vie divine. La grâce imprime en tout chrétien la vie et le mouvement qui sont en Dieu de toute éternité. Dieu seul en est la source. Elle est la beauté même de Dieu. Celle que Moïse a contemplée dans la vision du Buisson ardent, celle qui resplendit sur la face du Christ :

Nous contemplons la beauté de Dieu et, par cette contemplation, nous sommes transformés de clarté en clarté jusqu'à la ressemblance du Verbe de Dieu lui-même11.

 

Le Père Marie-Eugène nous invite donc en tout premier lieu à contempler le mystère de Dieu, à le découvrir comme un être vivant puisque, dans le Christ, l'homme est appelé à partager sa vie.

 

La vision de Moïse sur l'Horeb, celle du Buisson ardent, est la révélation de ce mouvement, de cette vie qui sont en Dieu. Moïse est habitué à la transcendance de Dieu ; il le sait inaccessible, infini.

 

Mais ce qui le déconcerte, c'est de voir ce transcendant dans un mouvement. Qu'est-ce, en effet, que ce feu ? C'est une vision symbolique, une théophanie de Dieu. Dieu n'est pas seulement l'inaccessible, le transcendant, il n'est pas l'obscur, non : Dieu est lumière, plus que cela d'une certaine façon. Dieu est flamme, la flamme qui monte, le brasier. Dieu est le brasier qui lance des étincelles, qui lance des rayons, le voilà !12

 

Le Père Marie-Eugène commentera lui-même cette description :

Nous sentons que Dieu avait comme hâte de découvrir quelque chose de sa nature quand il se découvrait à Moïse sous le signe du Buisson ardent. C'était le Dieu d'Israël, le Dieu mystérieux qu'on ne connaissait pas, le Dieu de l'immobilité du désert, des pasteurs nomades, le Dieu de la simplicité... C'est vrai. Dieu est parfait, infiniment parfait, il est transcendant, c'est tout à fait vrai. Mais à cela il faut ajouter l'idée de mouvement, l'idée de diffusion, de flamme qui se répand, de flamme qui brûle, sans se consumer évidemment, mais qui brûle constamment13.

 

La transcendance de Dieu se manifeste à Moïse comme mouvement et vie car Dieu est Amour14, Dieu qui se donne : " ce mouvement qu'a saisi Moïse, ce brasier, c'est un brasier d'amour "15. La vie, qui s'exprime de façon symbolique dans la flamme de ce foyer, est celle des Personnes divines, Père, Fils et Esprit Saint. Elle est éternelle, comme Dieu lui-même :

Dieu engendrera toujours, l'Esprit Saint jaillira toujours, la spiration d'amour jaillira du Père et du Fils d'une façon incessante, toujours, toujours... Et Dieu est toujours heureux. Dieu est infiniment heureux (...) Joie paisible, joie triomphante, bonheur que rien n'épuise, joie sereine ...16

 

Dieu s'est révélé à Moïse sur l'Horeb dans sa vie divine et il l'a ainsi transformé, enrichi de ce qu'il est. Jésus s'est proclamé le témoin unique et véritable de Dieu, et il a donné son Esprit et sa grâce. La révélation de Dieu dans le Buisson ardent est bien la figure de la révélation que Dieu fait de lui-même en Jésus-Christ et dans le don de la grâce divine.

 

Le Père Marie-Eugène dira alors que c'est dans la grâce elle-même que se découvre le Dieu vivant, qu'il se fait connaître et expérimenter comme amour qui se donne, et que se manifeste chacune des Personnes divines : " Le regard du contemplatif, du saint qui pénètre en Dieu, grâce à cette participation de la vie divine donnée par le baptême, que découvre-t-il ? Il découvre sa connaturalité, il découvre l'amour. Dieu est amour. Il découvre les trois Personnes divines "17. Seule la charité, qui est science d'amour, donne la pleine connaissance de Dieu :

Dans une certaine mesure, nous pouvons expérimenter la charité qui nous est donnée, et comme elle est de même nature que Dieu, sans illusion, nous pouvons transporter, transférer sur Dieu la notion que nous avons de notre propre amour, de notre charité surnaturelle16.

 

C'est pourquoi le Père Marie-Eugène pose comme une exigence ordinaire de la vie chrétienne, qui veut grandir dans l'amour de Dieu et du prochain, de désirer cette connaissance de Dieu :

La transcendance de Dieu existe et il ne s'agit pas de la violer. Mais nous pouvons cependant la regarder, en saisir quelque chose, et il plaît à Dieu de nous en donner une certaine expérience, une certaine connaissance. La contemplation peut et doit tendre à cette connaissance de Dieu en lui-même. (...) Nous pouvons et nous devons aspirer à le connaître par la foi19.

 

Telle est la connaissance de Dieu, vivante et transformante, que donne le regard simple de la foi et de la contemplation. Elle révèle à l'âme sa dignité sublime et sa beauté en lui découvrant sa grâce et la grandeur de Celui qui l'habite. C'est elle qui fait du baptisé un témoin du Dieu vivant. Aussi le Père Marie-Eugène formule un souhait :

Que nous puissions dire nous-mêmes d'une certaine façon, comme Notre Seigneur à Nicodème : 'Personne ne va à Dieu, un seul peut porter témoignage', et moi aussi, je peux donner un témoignage. Car pour n'y avoir pas été, pour n'y être pas comme Notre Seigneur, dans l'unité des Personnes, que nous puissions cependant invoquer parfois notre expérience de Dieu pour affirmer qu'elle est possible et pour en donner aux autres le goût et le désir20.

 

La grâce baptismale, " une ancre dans nos vies "

 

Dans la création Dieu ne peut donner rien de plus parfait que la grâce, participation créée de sa nature. Il n’est donc pas de joie supérieure pour Dieu à celle qu’il trouve dans la diffusion de sa grâce21.

 

En référence constante à la deuxième épître de saint Pierre et à la tradition chrétienne qui la commente, le Père Marie-Eugène dira de la grâce qu'elle est une participation à la vie divine22. Il découvre en elle la grande richesse de l'homme, ce don surnaturel de la vie divine qui lui est fait dans le Christ, et sans laquelle l'homme serait dans l'impossibilité de se tourner vers Dieu. Sur la grâce baptismale, il fonde tout son enseignement concernant la prière, la marche vers Dieu, la réalisation de l'union avec Dieu, la ressemblance au Christ Jésus, terme et but de la vie spirituelle ; l'apostolat, le témoignage qui doit l'accompagner, ne trouveront leur efficacité que dans la vitalité de la grâce qui habite et anime le baptisé. Le dynamisme de la vie chrétienne s'identifie avec celui de la grâce23.

 

Parce qu'elle est une participation réelle à la vie divine, la grâce imprime dans l'homme la vie même de Dieu, elle le marque comme d'un sceau pour Dieu. pour la vie trinitaire24. En termes simples et convaincants, le Père Marie-Eugène rappelle cette fonction, trop souvent méconnue et pourtant essentielle, de la grâce baptismale :

La vie chrétienne n'est pas seulement une vie morale, elle ne consiste pas seulement à éviter ceci ou cela ; elle consiste surtout à faire du positif. (...) Nos énergies vitales chrétiennes, c'est la grâce, c'est d'être enfant de Dieu, et par conséquent de faire déjà ici-bas, d'une façon imparfaite avec la foi mais d'une façon réelle, notre fonction d'enfant de Dieu. Cette fonction consiste à nous unir à Dieu et, avec Dieu le Père, à spirer l'Amour, par conséquent, comme dit saint Jean de la Croix, à spirer l'Esprit Saint. C'est là notre fonction principale25.

 

Dans cette union à la vie divine, la grâce réalise en l'homme une perfection unique, celle de Dieu : " La perfection, il n'y en a qu'une — disait le Père Marie-Eugène, les derniers jours de sa vie — c'est celle du Père et du Fils qui s'aiment, c'est l'Amour substantiel. La nôtre, bien que finie, est la même "26.

 

La grâce qui a pour but de réaliser l'union de tout homme avec Dieu ne saurait être liée à des modalités particulières. Comprise dans sa dimension filiale, elle développe en l'homme la véritable liberté des enfants de Dieu :

La perfection chrétienne est indépendante de toutes les modalités, de tous les modes humains, de toutes les perfections naturelles, sensibles, intellectuelles ou même de toutes les perfections de l'ordre moral. La perfection pour nous, la perfection chrétienne, c'est d'atteindre Dieu. Notre perfection est en Dieu, c'est l'union à Dieu et, par conséquent, le développement de notre grâce baptismale ; elle n’est pas ailleurs, il n'y a pas autre chose que cela. Tous les modes, toutes les méthodes, tous les moyens, toutes les ascèses doivent conduire à cela27.

 

Dégager la vie surnaturelle des diverses modalités, naturelles ou " mystiques ", qui l'accompagnent, est un aspect essentiel de l'enseignement du Père Marie-Eugène, caractéristique de sa dimension théologale. Il en voyait l'importance non seulement pour que la grâce puisse s'épanouir librement en chacun, mais aussi pour que le message évangélique puisse être accueilli par tous les milieux, quelles qu'en soient les sensibilités ou la culture.

 

Sur ce problème de la réception du message évangélique et de l'enseignement des réalités surnaturelles, il écrivait :

C'est un problème d'humanisme plus que de grâce. Nous sommes habitués à donner le surnaturel avec des formules et des méthodes qui cadrent avec notre humanisme occidental et méditerranéen. Nous concevons difficilement qu'il puisse pénétrer dans les âmes autrement que par ces modes, car notre expérience personnelle se borne à ces modes. Et cependant le surnaturel est indépendant et autonome. A part les formules dogmatiques révélées qui sont véhicules nécessaires de la vérité divine, le reste peut varier dans une certaine mesure. Le bon Dieu est libre, indépendant des modes humains. Il a des moyens variés à l'infini pour se communiquer ; II les choisit adaptés à chaque âme et à chaque civilisation28.

 

Le Père Marie-Eugène soulignera encore que cette union à Dieu par grâce ne peut pas se faire sans notre consentement et notre collaboration : " Dieu nous fait libres, il nous a donné une volonté libre et il respecte souverainement notre liberté. Dieu ne nous sanctifiera jamais sans nous, sans notre consentement "29. La vie spirituelle du chrétien ne saurait progresser sans un don complet de soi qui s'enracine dans celui du Christ et soumet à l'action de l'Esprit Saint30. La sainteté sera dans cette soumission libre et aimante de tout l'être à Dieu :

A la base de tout, de la collaboration que nous établissons avec Dieu sur le plan de la contemplation et de la vie spirituelle, il doit y avoir la reconnaissance de la transcendance de Dieu, de son autorité ; il doit y avoir la soumission à Dieu et, plus que cela, le don de tout ce que nous avons et tout ce que nous sommes31.

 

Le don de soi sera d'autant plus parfait qu'il portera sur les biens les plus spirituels et les plus personnels que sont les facultés intellectuelles et la liberté : " Donner son intelligence, sa volonté, donner son moi, c'est ce que nous pouvons donner de mieux au bon Dieu, nous n'avons pas mieux à donner et c'est ce qu'il attend de nous "32.

 

Ce don ne doit être si complet que parce que la vie de la grâce s'étend à l'homme tout entier : " Tout notre être, toute notre âme sont impliqués dans cette marche vers Dieu ". La grâce est greffée sur la nature humaine33. Elle épouse la richesse et la complexité de l'humain pour l'ordonner à Dieu selon toutes ses virtualités :

La perfection de l'homme, la perfection chrétienne est là, dans cette marche vers le but, vers Dieu, dans la mise en activité de toutes ses facultés, de toutes ses énergies, sur tous les plans, pour aller vers Dieu. C'est tout l'homme qui doit arriver au but : rien n'en est exclu34.

 

Pas même les forces sensibles qui doivent trouver leur place au sein de cette synthèse de toutes les capacités d'aimer, que réalise la grâce.

 

Aussi une telle soumission de l'humain au divin par la grâce et la présence de l'Esprit Saint, si elle est ordinairement expérimentée comme un appauvrissement, est bien source des vraies richesses et un réel épanouissement de tout l'humain35. " L'amour se fait humble même lorsqu'il est tout-puissant, pour exalter ceux qu'il aime "36, dit le Père Marie-Eugène. Et il ajoute, s'appuyant sur l'exemple des premiers disciples de Jésus et sur celui des saints qui jalonnent l'histoire de l'Église :

L'apôtre comme le Christ Jésus, est glorifié par l'Esprit d'amour qui le possède. Sa personnalité humaine est exaltée et grandie par cette présence et cette emprise de l'Esprit. Ses sens sont purifiés, son intelligence est affinée, sa volonté est affermie, tout un équilibre humain s'établit, un certain don d'intégrité est retrouvé sous l'influence mystérieuse de la présence divine37.

 

Tout chrétien, de par son baptême, est appelé à connaître et à partager ces richesses de vie divine et d'amour surnaturel que sa grâce contient comme en germe. Plus encore, il doit devenir le collaborateur conscient de l'action sanctifiante de l'Esprit Saint en lui. Il le fera en premier lieu par la foi : " Le monde surnaturel qui nous est donné au baptême n'est pas une question d'eau rafraîchissante, ni même de feu que nous sentons, c'est une réalité à laquelle nous adhérons par la foi "38. Cette adhésion par la foi au monde surnaturel de la grâce, fortifie l'espérance et nourrit la charité :

Quand on a pris conscience de sa grâce baptismale, du sceau qu'elle porte, de la lumière qu'elle donne, de la direction qu'elle imprime, des espérances qu'elle donne, on a une ancre dans sa vie pour son âme39.

 

La primauté que le Père Marie-Eugène accorde à la grâce dans son enseignement témoigne par là-même de l'importance qu'elle revêt pour toute vie chrétienne. L'insistance qu'il met à en parler, à en décrire les richesses, est une invitation pressante à la considérer plus attentivement, plus souvent :

II faut que nous mettions cette valeur à sa place, au-dessus de tout, fixant notre destinée éternelle et nous indiquant, dans sa lumière, le chemin que nous devons suivre, le sillon que nous devons tracer ici-bas40.

 

En rapportant les réalités les plus hautes de la vie d'union avec Dieu (contemplation, union de volonté avec Dieu, découverte contemplative du mystère de l'Église, union transformante au Christ Jésus) au développement ordinaire de la grâce baptismale, il donne à son enseignement l'universalité qu'il découvre dans la doctrine des maîtres du Carmel et qu'il voit confirmée dans le rayonnement universel de la sainteté de Thérèse de l'Enfant-Jésus41.

 

La prière : union à Dieu

 

En Jésus, le chrétien porte le sceau de son Dieu : il lui appartient par la consécration baptismale qui fait de lui un autre Christ. La dignité que lui confère la grâce atteint l'homme tout entier, dans tout son être et tous les moments de sa vie. L'homme ira vers Dieu avec tout ce qu'il est et tout ce qu'il fait. Ordonner l'être et la vie à Dieu, les lui soumettre pour recevoir sa grâce, grandir dans l'amour et lui être uni, telle est la fonction que doit remplir la prière chrétienne : " La prière est une démarche de tout nous-même, de notre personne, vers Dieu ; la prière est une prise de contact avec Dieu, pour un échange avec lui "42.

 

Un tel échange suppose une union entre l'homme et Dieu : seule la grâce la rend possible. En effet, la grâce est filiale, son mouvement essentiel est de se tourner vers Dieu, de tendre vers lui comme un enfant vers son père. La prière, qui s'identifie à tout mouvement vital de la grâce en notre âme43, réalise parfaitement l'attitude d'enfant de Dieu. Aussi le Père Marie-Eugène dira de la prière qu'elle est avant tout une union à Dieu : " La prière est un exercice d'union, une élévation de l'âme vers Dieu, une union avec Dieu "44. Il ne s'agit pas à proprement parler d'une nouvelle méthode pour prier, mais de ce qui fait le fond de toute prière, quelle qu'en soit la forme, vocale ou silencieuse, personnelle, communautaire ou liturgique. L'essentiel de la prière est dans la recherche de Dieu, par la foi et l'amour, pour lui être uni et se tenir en sa présence.

 

Le Père Marie-Eugène puise la force de son enseignement sur la prière, non seulement dans la doctrine des maîtres du Carmel confirmée par une très haute expérience personnelle de l'oraison, mais plus encore dans sa contemplation du Christ tel que les Évangiles nous le donnent.

 

Lorsqu'il regarde le Christ, c'est en prière qu'il le découvre : " Une vérité s'impose d'abord quand nous considérons Notre Seigneur : c'est qu'il a beaucoup prié "45.

 

Il le regarde prier à Nazareth : Jésus " va passer à peu près trente ans à Nazareth, parce qu'il estime que la fonction la plus importante qu'il a à remplir, c'est une fonction de vie ordinaire, de vie cachée, qui va lui permettre de remplir surtout la fonction de prière "46. La prière sera alors l'attitude ordinaire du chrétien et rythmera la vie quotidienne de chacun.

 

Il regarde Jésus prier dans sa vie publique : " Pendant toute sa vie, les évangélistes sont unanimes sur ce point, il se retire dans la solitude pour prier "47. Les ministères à accomplir, les charges publiques ou privées à porter, les tâches plus lourdes à remplir demanderont un surcroît de prière, une union encore plus profonde à Dieu, une communion renouvelée et plus personnelle au Christ Jésus.

 

Mais dans la nuit de Gethsémani, durant la Passion et sur le Calvaire, la prière de Jésus se fait plus douloureuse sous le poids du péché du monde et pour le salut des hommes :

C'est cette prière de souffrance, cette prière douloureuse dont la souffrance est faite de la contradiction, de l'assaut que livre l'enfer au Ciel qui est en lui, c'est cette souffrance qui est rédemptrice48.

 

L'Église, unie au Christ comme son propre corps, continue en chaque chrétien la prière rédemptrice de Jésus dans sa passion :

Actuellement le Christ dans le Ciel ne meurt plus, nous dit l'apôtre saint Paul, mais il a laissé à son Église cette souffrance qui vient de l'opposition entre le péché et la divinité. Il a laissé aux chrétiens le soin de réaliser la prière d'union, il leur a laissé aussi le soin de continuer la prière douloureuse de Gethsémani49.

 

Pour le regard de foi du Père Marie-Eugène, affiné par la contemplation, la prière du Christ s'enracine dans le mystère de l'union hypostatique.

 

Par l'Incarnation le Verbe s'est fait chair, il est devenu homme, sans cesser d'être éternellement tourné vers Dieu, d'être Dieu. Le Christ, par son humanité unie substantiellement à la Divinité et sanctifiée en plénitude par la grâce, comprend le mystère qui l'habite, contemple Dieu et s'offre à l'emprise du Verbe :

Dans le Christ, la Divinité pénètre l'humanité ; l'humanité elle-même se plonge dans la Divinité par un regard très simple, regard qui est la connaissance intuitive de Dieu (...). L'union est donc parfaite : pénétration de Dieu, et en même temps pénétration de l'homme en Dieu, de l'humanité en Dieu par le regard très simple de la vision intuitive50.

 

Ainsi " l'union hypostatique met Notre Seigneur en état de prière constante "51, dira encore le Père Marie-Eugène. Par cette prière, le Christ " se plonge dans la vie intime de Dieu, dans la Trinité Sainte " que lui découvre la vision béatifique. Telle est la prière du Christ, prière d'union, " réalisation parfaite et expérimentée de l'union hypostatique "52.

 

Ce sont là ces arêtes lumineuses, ces filons inépuisables du mystère du Christ, déjà chantés par saint Jean de la Croix dans son Cantique Spirituel ; le Père Marie-Eugène nous dit qu'ils se révèlent à l'âme par une connaissance de connaturalité, que la grâce donne avec le Christ de qui elle découle et auquel elle unit.

 

Dans cette lumière du Christ Jésus, la prière chrétienne, qui devient contemplative par l'action de l'Esprit Saint, " est ramenée à ses éléments essentiels, simplifiée sans être affaiblie, mise ainsi à la portée de toutes les âmes "53. De par sa grande expérience spirituelle et humaine, le Père Marie-Eugène savait en effet que, pour être vécue par tous et dans des situations très diverses, il fallait mettre en valeur ce qui est le plus important dans la prière, ce qui la fait nourrissante et désirable : le contact avec Dieu par la foi et dans l'amour. " Par conséquent nous devons être convaincus de ce qui constitue l'essence de l'oraison : c'est une prise de contact avec Dieu pour nous enrichir de lui, pour établir une communication par la foi, par l'acte d'amour "54. Devenue contemplative par les dons du Saint-Esprit, la prière est alors une union à Dieu, " un échange, une descente de Dieu dans l'âme "55. Quant aux méthodes de prière ou aux moyens à utiliser pour se recueillir, sans les mépriser en rien, il préconisait la liberté et la souplesse : " Chacun trouve le sien pour arriver au contact avec Dieu et pour l'entretenir "56.

 

Citons ici le témoignage de Marie Pila :

Le Père proposait donc une oraison toute simple, dégagée de tout ce qui pourrait être non seulement extraordinaire, mais même expérimenté, savouré, oraison de foi où il faut tenir son regard fixé sur Dieu, oraison qui n'est que le 'regard simple sur Dieu' dépouillé de tout, oraison qui conduit au sommet comme elle y a conduit sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus elle-même57.

 

Réponse aux attentes du monde

 

Pour le chrétien, réaliser la grandeur de sa vocation ne saurait le replier sur le seul accomplissement de son salut, ni le détourner de ce monde dans lequel il vit, et de ce temps où il lui est donné d'agir.

 

La ressemblance au Christ Jésus " n'isole pas du monde en introduisant en Dieu. Elle associe à la vie intense de l'Église ici-bas "58.

 

Le Père Marie-Eugène laisse transparaître à plusieurs reprises cette attention aimante et parfois douloureuse qu'il portait à l'humanité de son temps qui est encore la nôtre, sur l'Église de son temps aussi. C'était alors la domination triomphante du communisme ; sa force négatrice de tout ce qui, en l'homme, fonde son hommage à Dieu : la liberté et la grâce59. C'étaient aussi les interrogations parfois inquiètes de l'Église sur les moyens à mettre en œuvre pour assurer sa présence au monde et son apostolat60.

 

Les réponses que le Père Marie-Eugène apporte sont fortes de sa foi en la primauté de l'Esprit Saint dans toute action qui se veut chrétienne ; elles sont aussi nourries de l'expérience personnelle d'un apostolat qu'il voulait toujours plus large et qui continue de manifester sa puissance et sa fécondité61.

 

Que va-t-on demander au témoin ?

Nous lui demandons cette sorte de rayonnement spirituel qui passe à travers son âme, que l'on saisit parfois dans son regard, que l'on voit dans ses attitudes, dans sa rectitude, dans toute sa vie62.

 

Quelle sera sa présence au monde et son témoignage ?

 

Le témoignage que nous devons porter, c'est surtout ce témoignage de ce que nous sommes. C'est le témoignage de la vie chrétienne, de la vie du Christ que nous portons en nous ; c'est le témoignage de l'Esprit Saint dont nous sommes les hôtes63.

 

Quelle sera alors la première exigence que devra remplir le témoin ?

Le premier devoir de l'apôtre ne sera pas nécessairement d'agir, (...) le premier devoir de l'apôtre sera de bien agir, de développer sa grâce, son union au Christ, afin que son action

soit vraiment bonne, vraiment celle d'un apôtre c'est-à-dire une collaboration intime64.

 

Ce sera celle de tendre à la sainteté, à l'union parfaite avec Dieu.

 

La vie de la grâce atteint sa plénitude et son rayonnement fécond dans la présence de l'Esprit Saint : " Cet Esprit est notre hôte, un feu vivant en nous, une lumière, il est notre ami. Il est vraiment en nous, il nous sanctifie et nous divinise constamment "65. La présence de l'Esprit Saint dans l'âme est vivante, active ; seule la foi vive, purifiée par l'amour, la découvre :

Il ne s'agit pas de croire à l'Esprit Saint d'une façon vague ; il faut que nous croyions en lui comme à une réalité vivante, à une Personne vivante, intelligente, toute-puissante, comme à une personne qui sait ce qu'elle veut, qui fait ce qu'elle veut, et qui sait où elle va66.

 

Avec saint Paul, le Père Marie-Eugène reconnaît dans cette présence de l'Esprit Saint, la marque caractéristique du chrétien : " Ceux-là sont enfants de Dieu qui sont mus par l'Esprit de Dieu "67.

 

Le Père Marie-Eugène en tire une unique conclusion, mais essentielle quant au rayonnement de l'apôtre et à la fécondité de son action :

Le chrétien, non pas seulement ceux qui ont une charge et des responsabilités, mais tout chrétien doit vivre en contact avec l'Esprit Saint68.

 

L'union à Dieu est le fondement de l'apostolat car elle est ordonnée à la fécondité, au développement de l'Église :

Le Royaume de Dieu, c'est le Christ total, l'Église. Ce Royaume est donc surtout spirituel puisqu'il est constitué par le Christ et par la vie de la grâce qu'il répand dans nos âmes. Il est spirituel parce que l'Esprit Saint en est l'animateur, il en est l'âme69.

 

L'union à Dieu est vraiment " la collaboration que nous devons à l'Esprit Saint "70 dans la construction du Royaume de Dieu, car pour être un apôtre, un parfait ouvrier du Royaume, " il faut être pris par l'Esprit Saint "71.

 

Nous rejoignons ainsi un des aspects les plus fondamentaux de la vie chrétienne : l'union indissociable de la contemplation et de l'action chrétiennes ; union indissociable parce qu'enracinée dans la nature même de la grâce qui, en divinisant, unit à Dieu et, en s'incarnant, fait porter le péché des hommes.

 

Lorsqu'elle est parfaite, cette union porte un autre nom, celui de la sainteté : " La perfection chrétienne et la perfection contemplative sont en cette union et cette réalisation du Christ Jésus Notre Seigneur "72. Elle associe le chrétien à toute la vie du Christ. Elle harmonise tous les mouvements de l'âme de l'apôtre avec l'âme du Christ et lui découvre les attentes de son temps :

Cette âme prie avec le Christ, dans la lumière qui lui est donnée. Et cette lumière n'est pas seulement une lumière générale sur les présences divines dans son âme ; cette lumière lui est donnée sur son temps, elle découvre l'Église éternelle et l'Église de son temps73.

 

La sainteté est la réponse conjointe de Dieu et de l'homme aux attentes et aux espérances de chaque époque, de chaque génération. Le saint, écrit le Père Marie-Eugène dans Je veux voir Dieu, est " l'homme et le saint d'une époque, d'un peuple, d'un âge bien déterminé du Corps mystique du Christ en pleine croissance. Le divin et l'éternel qui sont en lui ne l'empêchent pas ou plutôt l'obligent à s'incarner dans le temporel le plus humain de son époque "74. Mais la sainteté est surtout la réponse de la miséricorde de Dieu à la grande souffrance de l'humanité : le péché.

 

L'humanité de notre temps, " blessée et dépouillée... "

 

Plus les saints sont pris par l'amour, plus il sont près de nous, car en les divinisant, la charité les fait entrer dans les profondeurs du péché, la grande souffrance de l'humanité75.

 

Le Père Marie-Eugène découvrait cette grande souffrance de l'humanité contemporaine dans l'ignorance pratique de Dieu, dans l'indifférence vis-à-vis de son action dans le monde et les âmes, dans l'absence de vie théologale : " la grande misère, c'est le manque de foi "76.

 

L'humanité de notre temps lui apparaît blessée et dépouillée de ses valeurs les plus hautes, comme l'était cet homme, assailli par des malfaiteurs alors qu'il montait de Jérusalem à Jéricho77 : " Dans cet homme tombé sur la route que les brigands ont dépouillé et roué de coups, le laissant à demi-mort, je vois l'humanité de notre époque "78.

 

Blessée par le péché, ignorant tout des réalités surnaturelles, de la force du pardon, cette humanité ne peut plus se relever, elle a perdu l'usage de la vie de la grâce :

L'humanité de notre temps me paraît être comme ce pauvre homme... elle a été dépouillée par le démon et ne peut plus marcher, retourner vers Dieu. Ces gens roués de coups par le démon, auxquels il manque l'usage de leurs membres pour revenir vers Dieu, ce sont ces âmes qui doivent exciter notre pitié. Cet homme est bien le symbole que Jésus nous présente de l'humanité : de notre temps19.

 

Cette misère l'attirait, car plus profonde et plus grave que la misère matérielle. Et parce qu'elle porte sur des réalités plus spirituelles, il désirait lui donner la réponse de l'amour, de la miséricorde de Dieu :

Dieu a tellement aimé le monde, il a tellement eu pitié de son péché, qu'il a envoyé son Fils unique. Et le Fils a eu tellement pitié de ce péché de l'homme, de cette absence de Dieu dans les âmes, de leur impuissance à le saisir à cause de leur péché, qu'il s'est donné, est monté sur la Croix80.

 

Ce mouvement vers l'homme pécheur, pour soulager sa misère, est celui de l'Amour divin, celui qui a fait l'Incarnation, la Rédemption et l'Église. Il est celui de l'apostolat parfait parce qu'il se confond avec le geste et l'action de Jésus81 ; il est celui de la charité :

La charité du chrétien doit aller à tout le monde, surtout aux plus malheureux ; sa charité devra ressembler à celle de Dieu qui se transforme en miséricorde devant la pauvreté, la misère. La charité du chrétien doit faire de même, elle est de même nature que celle de Dieu. Elle procède de Dieu et doit se transformer en miséricorde62.

 

Le devoir du chrétien, de l'apôtre, est donc d'apporter, aujourd'hui plus que jamais, le témoignage de la source dont il vit, de la flamme divine qui l'habite et l'anime. Et pour cela, de se livrer à la grâce de Dieu :

Voilà le sens de notre vie : chercher Dieu, le trouver, prendre contact avec lui et le donner aux autres. Prendre les gens sur notre monture, les panser, les conduire par notre prière, le sacrifice de tout nous-même, les conduire à Dieu... Ils avaient faim et soif matériellement, nous leur avons donné ce qu'il fallait... Ils avaient faim et soif spirituellement, nous leur avons donné Dieu83.

 

P. Charles niqueux

Centre Notre-Dame de Vie 8 mai 1990

 

 

 

 

1. P. MARIE-EUGÈNE DE L'E.J., Conférence du 18 mai 1958, publiée dans Carmel, 1988/3-4, n° 51, p. 342.

2. " Ma vocation est une vocation théologale, je suis fait pour conduire les âmes à Dieu, pour les conduire à l'union divine ". Ces paroles du P. Marie-Eugène, rapportées par Marie Pila, expriment sa vocation, la pensée de Dieu sur lui ; elles caractérisent aussi son enseignement, expression de la grâce qui l'habitait et fruit de sa mission dans l'Eglise. (Cf. M. PILA, " Le fondateur ", dans Carmel, n° spécial " Le Père Marie-Eugène de l'Enfant-Jésus ", mars 1968, p. 112-128 ; texte repris dans Carmel, 1988/3-4, n° 51, p. 233-249).

3. Cf. " La grâce baptismale ", p. 69.

4. Ibid., p. 88.

5. " La grâce baptismale ", p. 80.

6. Une telle perspective pourrait paraître bien loin des aspirations humaines actuelles, si elle ne venait de nous être rappelée comme essentielle à ce renouveau d'évangélisation auquel le Pape invite tous les chrétiens par l'Exhortation Apostolique sur Les fidèles laïcs (JEAN-PAUL II, Exhort. Ap. Christifideles laici, du 30 décembre 1988, notée C.L.).

En termes similaires, Jean-Paul II considère la dignité de l'homme dans la lumière de Dieu : " La dignité de la personne se manifeste dans tout son éclat quand on en considère l'origine et la destinée : créé par Dieu à son image et à sa ressemblance, et racheté par le Sang très précieux du Christ, l'homme est appelé à être 'fils dans le Fils' et temple vivant de l'Esprit Saint, et destiné à l'éternelle vie de communion béatifiante avec Dieu " (C.L,.,,n°37).

L'Exhortation Apostolique développe dans son premier chapitre la nécessité, pour tous les chrétiens, d'emprunter le chemin de la sainteté afin de réaliser ce renouveau évangélique. Bien des sujets abordés par le Père Marie-Eugène pourraient illustrer cette intention. Le fait de citer l'Exhortation Apostolique dans cette introduction est donc une invitation à s'y reporter largement ainsi qu'aux textes conciliaires qu'elle évoque, particulièrement ceux concernant l'appel universel à la sainteté.

7. Je veux voir Dieu, éd. du Carmel, Venasque, 19887 (1957), p. 47. Le Père Marie-Eugène se fait ainsi l'écho de la tradition chrétienne qui a toujours proclamé la haute dignité de l'homme manifestée dans le Christ (cf. C.L., n° 17).

8. C.L., n° 16.

9. Le P. Marie-Eugène exprime ainsi ce droit : " Chacun de nous a un droit strict à la grâce, à l'action de l'Esprit Saint, à l'assistance de l'Esprit Saint pour remplir parfaitement les fonctions qui lui sont confiées par sa grâce " (" L'apôtre parfait ", p. 346).

10. Cf. C.L., n° 17.

11. " L'activité de Dieu dans la prière ", p. 134.

12. " Le mystère de Dieu ", p. 47.

13. Conférence du 18 août 1966 (inédit).

14. Cf. conférence du 18 août 1957 (inédit) : " Dieu est amour, il agit par amour, il donne de l'amour. Cette définition 'Dieu est amour' nous introduit plus profondément en Dieu que toutes les autres, à savoir : Dieu est Esprit — Dieu est l'Être transcendant — Dieu est l'Être subsistant par lui-même, parce que cette définition nous introduit dans la vie intime de Dieu ".

15. " Le mystère de Dieu ", p. 51.

16. Ibid., p. 55.

17. Conférence du 18 août 1957.

18. Conférence du 18 août 1966. Pour exprimer cette vie qui est en Dieu et peut-être plus encore pour entraîner l'adhésion de foi aux réalités surnaturelles dont il parlait, le Père Marie-Eugène soulignera l'insuffisance des concepts et leur préférera les images et symboles qui expriment le mouvement : " Nous employons des notions séparées, des concepts. Comment pouvons-nous parler, expliquer sans dire quelque chose, sans prendre des images pour l'imagination et des concepts pour l'intelligence ? Évidemment les images du Buisson ardent, de l'océan en mouvement gui tourne et se répand sur lui-même, nous paraissent beaucoup plus grandes et beaucoup plus exactes que le concept qui, par lui-même, est évidemment petit, parce qu'il n'est qu'à la mesure de notre intelligence " (ibid.).

Ainsi il écrit dans Je veux voir Dieu au sujet de l'expression des réalités surnaturelles :

Cette expression renoncera au langage des concepts, trop précis pour traduire les richesses des réalités entrevues et les vibrations produites à travers tout l'être humain, elle ira de soi aux images, aux symboles, aux mots à sens indéfini, plus vastes, moins restreints, mieux adaptés par conséquent à l'infini ; et ce lyrisme, l'expérience mystique le chargera de la chaleur et de la force savoureuse de l'impression reçue " (p. 442-443).

19. " Le mystère de Dieu ", p. 56, 59.

20. " Le mystère de Dieu ", p. 68.

21. Je veux voir Dieu, p. 37.

22. Cf. 2 P 1,4. Il s'agit de la grâce créée par laquelle la grâce incréée, c'est-à-dire l'Esprit Saint lui-même, habite en nous.

23. L'enseignement du P. Marie-Eugène sur la grâce est très développé ; on se reportera avec profit aux pages de Je veux voir Dieu qui en traitent (cf. infra, p. 83, n. 9). Les lignes qui suivent veulent simplement mettre en relief certains aspects plus propres à souligner la dimension théologale de cet enseignement, qui lui permet de s'adresser à toute vie chrétienne : l'union à Dieu par grâce ; la distinction entre surnaturel et modalités ; l'implication de toute la vie humaine dans la grâce.

24. " La grâce baptismale ", p. 78-79.

25. " Grandes vérités chrétiennes ", p. 217.

26. R. RÈGUE, Père Marie-Eugène de l'Enfant-Jésus, maître spirituel pour notre temps, éd. du Carmel, Venasque, 1978, p. 122.

27. " La grâce baptismale ", p. 81.

28. P. MARIE-EUGÈNE DE L'E.J., Père d'une multitude — Lettres autobiographiques, Fayard, Paris, 1988, p. 162.

29. " Le don de soi ", dans Carmel, 1988/3-4, n° 51, p. 328.

30. Cf. Je veux voir Dieu, p. 328 : " Disposition foncière du Christ, le don complet de soi est une disposition foncièrement chrétienne. Elle identifie au Christ par les profondeurs, et, sans elle, toute imitation de Jésus ne saurait être que superficielle et peut-être vain formalisme extérieur. Pour être du Christ il faut lui être livré comme il est livré à Dieu, car nous sommes du Christ et le Christ est à Dieu ".

31. " Le don de soi ", dans Carmel, 1988/3-4, p. 329.

32. Ibid., p. 330.

33. Cf. Je veux voir Dieu, p. 33 : " Greffée sur la nature humaine, avec son organisme vivant de vertus infuses et de dons du Saint-Esprit, la grâce épouse parfaitement les formes du complexe humain, en saisit toutes les puissances et toutes les activités. Envahissante, elle pénètre et domine progressivement les facultés humaines en les libérant de leurs tendances égoïstes et désordonnées. Filiale, elle les entraîne après les avoir conquises, dans son mouvement vers ce Dieu intérieur. Père de lumière et de miséricorde, et les Lui offre désormais purifiées et fidèles, toutes soumises à ses lumières et à son action ".

34. " La grâce baptismale ", p. 85.

35. Là n'est pas la moindre des antinomies de la vie chrétienne, de ces oppositions apparentes qui accompagnent la vie de la grâce et qui s'originent dans le mystère du Christ lui-même :

Ces antinomies ou oppositions apparentes sont une des lois de l'amour divin qui les porte en lui comme une de ses richesses et qui en marque ses œuvres comme d'un sceau personnel. Cet amour s'incarne et divinise, il répand la joie et la tribulation, il produit une lumière qui est obscurité. Le Christ Jésus qui assure son règne ici-bas est le Verbe fait chair qui, sans cesser de jouir de la vision béatifique, a connu la plus douloureuse souffrance qu'un homme ait portée ici-bas, qui a triomphé enfin en mourant sur la croix " (Je veux voir Dieu, p. 1034) ; cf. aussi F.-M. LÉTHEL, " Dans le Christ Jésus ", Carmel, 1988/3-4, n° 51, p. 271.

36. Je veux voir Dieu, p. 1075.

37. Ibid.

38. " L'oraison au quotidien ", p. 173.

39. " La grâce baptismale ", p. 88.

40. Ibid., p. 87.

41. Cf. P. MARIE-EUGÈNE DE L'E.J. Ton amour a grandi avec moi. Un génie spirituel, Thérèse de Lisieux, éd. du Carmel, Venasque, 1987, p. 168-169 :

Au seuil de ce monde nouveau qui s'annonce, plus grand et plus puissant que les précédents parce qu'il embrasse et a conquis l'univers, plus tourmenté aussi et plus divisé. Dieu a placé Thérèse de l'Enfant-Jésus pour révéler et faire aimer l'Amour, pour organiser une légion innombrable de petites âmes ayant expérimenté l'Amour et capables d'en mener ici-bas les rudes combats.

Il est toujours dangereux de prophétiser. Mais est-ce prophétiser que d'exprimer nos pressentiments, à tous, notre conviction qui s'appuie sur l’œuvre déjà réalisée, sur l'étendue du champ où elle s'exerce qui n'est autre que l'univers entier, sur la puissance et la pureté de la lumière qui jaillit, et d'affirmer que Thérèse sera, est déjà parmi les grands maîtres spirituels de l'Église, parmi les plus puissants conducteurs d'âmes de tous les temps ".

42. " Pour une transformation d'amour ", p. 95. On reconnaîtra dans cette dernière expression ce qui fait l'essentiel de la définition thérésienne de l'oraison, à savoir " un simple commerce d'amitié où l'on s'entretient souvent seul à seul avec Dieu dont on se sait aimé " (Ibid., n. 3).

43. Cf. Je veux voir Dieu, p. 56.

44. " La prière contemplative du Christ ", p. 206.

45. " La prière contemplative du Christ ", p. 196.

46. Ibid., p. 197.

47. Ibid., p. 199.

48. Ibid., p. 213.

49. " La prière contemplative du Christ ", p. 213.

50. Ibid., p. 200.

51. Cité par F.-M. LÉTHEL, " Dans le Christ Jésus ", Carmel, 1988/3-4, n° 51, p. 275.

52. Cf. " La prière contemplative du Christ ", p. 203.

53. Cf. Marie PILA, " Le fondateur ", p. 121 ; les éléments essentiels de la prière que sont l'acte de foi et l'action de l'Esprit Saint par les dons, sont détaillés dans les troisième et quatrième chapitres du présent ouvrage.

54. " L'oraison au quotidien ", p. 163.

55. " L'activité de Dieu dans la prière ", p. 133.

56. " L'oraison au quotidien ", p. 163.

57. Marie PILA, " Le fondateur ", p. 121.

58. Je veux voir Dieu, p. 1032.

59. Cf. P. MARIE-EUGÈNE DE L'E.J., " Le don de soi ", Conférence du 2 août 1961, publiée dans Carmel, 1988/3-4, n° 51, p. 329. " Dieu veut l'hommage de notre liberté. Il nous a faits libres, parce qu'il veut cet hommage de notre liberté ".

60. Cf. R. RÈGUE, " Croire en l'Esprit Saint — L'expérience du Père Marie-Eugène de l'E.J. ", dans Viens Esprit Saint, éd. du Carmel, Venasque, 1988, p. 268.

61. Cf. Marie PILA, " Le fondateur ", p. 125 : " Le Père Marie-Eugène était taillé pour l'action, c'était un réalisateur, il aimait l'entreprise et la lutte, mais son amour de l'action lui venait aussi de son amour de l'Église, des âmes, et cet amour était immense. (...) Son âme d'apôtre brûlait d'un zèle dévorant. Sentant les limites que son état religieux apportait à ce zèle. il disait à ses fils et à ses filles de Notre-Dame de Vie : 'Vous irez là où je ne peux pas aller'. Et l'on se souvient de sa joie au premier départ pour les terres lointaines : 'Que je suis heureux de vous disperser ! Vous n'avez pas été choisis pour rester à l'écart, pour veiller, pour prier, mais pour être jetés dans la masse, mélangés à la foule, tel un ferment, pour y produire son action dès qu'il est capable d'agir' ",

62. " Présence et témoignage ", p. 297.

63. Ibid., p. 295.

64. " L'apôtre parfait ", p. 347.

65. " Le mystère de Dieu ", p. 64.

66. " La primauté de l'Esprit Saint ", p. 260.

67. Rm 8, 14.

68. " La primauté de l'Esprit Saint ", p. 260.

69. " Construire le Royaume ", p. 234.

70. " La primauté de l'Esprit Saint ", p. 270.

71. " Présence et témoignage ", p. 301.

72. Je veux voir Dieu, p. 1022.

73. " L'apôtre parfait ", p. 353.

74. Je veux voir Dieu, p. 1034.

75. Je veux voir Dieu, p. 1032.

76. Conférence du 22 août 1959 (R. 59) (inédit).

77. Cf. Lc 10, 29-37.

78. R. 59.

79. R. 59.

80. Ibid.

81. Je veux voir Dieu, p. 1039.

82. R. 59.

83. R. 59.

 

L'enseignement donné ici par le Père Marie-Eugène s'adresse à un très large auditoire.

Les deux premiers textes, dans la partie intitulée " Fondements " sont des conférences données en 1962 :

"Le mystère de Dieu" : à Notre-Dame de Vie

(3 septembre 1962)

 

"La grâce baptismale" : à Marseille

(23 février 1962)

 

La deuxième et la troisième partie de l'ouvrage sont constituées de deux séries de conférences publiques, formant un enseignement continu :

 

"Pour une transformation d'amour" :

Conférences à Carpentras

(2, 9. 16 mai et 13 juin 1957)

 

"Sous l'emprise de l'Esprit" :

Conférences à Marseille

(1, 4, 8, 11 et 15 février 1956)

 

Dans tous les cas, le texte écrit a été établi à partir de l'enregistrement au magnétophone, et le style oral a été conservé, dans la formulation directe et vigoureuse propre au Père Marie-Eugène. Titres et notes sont de la présente édition.

 

Les références les plus fréquentes des notes renvoient aux éditions suivantes des Maîtres du Carmel :

S. thérèse D'Avila : Œuvres complètes, traduction du P. Grégoire de S. Joseph, Éd. du Seuil, Paris, 1949.

S. jean DE LA croix : Œuvres spirituelles, traduction du P. Grégoire de S. Joseph, Éd. du Seuil, Paris, 1947.

S. thérèse DE L'ENFANT-JÉSUS : Manuscrits Autobiographiques, Office Central de Lisieux, 1957 (Les références sont données selon les folios).

. J'entre dans la Vie, Derniers entretiens, Cerf-DDB, 1973 <Les références sont données selon les conventions de cette édition : CJ : Carnet Jaune (notes de Mère Agnès) et la date de la parole de Thérèse >.

. Conseils et Souvenirs, Éd. du Cerf, Paris, 1973.

P. marie-eugène DE l'enfant-jésus, Je veux voir Dieu, Éd. du Carmel, Venasque, 19887 (1957).