L'ACTIVITÉ DE DIEU DANS LA PRIÈRE

La prière est un contact avec Dieu, que nous établissons par l'activité de la vertu de foi reçue au baptême et qui fait partie de notre organisme surnaturel. Cette activité de la foi, cependant, ne peut s'exercer sans l'intelligence, dont l'activité est elle-même subordonnée à celle des sens. Le contact avec Dieu qu'est la prière est donc réalisé par l'activité de nos facultés naturelles et surnaturelles.

Ce contact de la foi nous fait pénétrer dans les profondeurs de Dieu, dans l'essence de Dieu. Il nous permet de puiser en lui la lumière, la vie, une augmentation de grâce ; c'est déjà un résultat appréciable. Il reste cependant que ce contact est imparfait ou, du moins, qu'il ne peut se maintenir parce qu'il s'appuie sur l'activité de nos facultés humaines, qui sont imparfaites. C'est alors que, pour perfectionner l'activité de la vertu de foi, intervient l'activité de Dieu : Dieu intervient dans notre prière.

La prière n'est pas un monologue. C'est une erreur pratique assez communément répandue de dire que, pour prier, il suffit de penser à Dieu, de faire un acte de foi, d'établir le

contact, et qu'ainsi nous faisons une prière parfaite. Certes Dieu est bon, mais il est l'Être infini, placé par conséquent bien loin de nous ; et sans doute la foi réussit à franchir cette distance qui nous sépare de lui. Mais — et voici l'erreur pratique communément répandue — Dieu lui-même n'intervient, croit-on, dans notre prière que de temps en temps et d'une façon que nous ne pouvons pas préciser.

C'est une erreur pratique, à la base d'ailleurs de bien des doctrines de contemplation purement naturelle, et contre laquelle nous devons réagir. Aussi, je voudrais vous parler de cette activité de Dieu dans là prière et essayer de vous en dévoiler le mécanisme en même temps que les effets.

I. — L'INTERVENTION DE DIEU
PAR LES DONS

Obscurité du mystère

Lorsque l'âme a pris contact avec Dieu par la foi, elle trouve Dieu certainement, mais elle ne rencontre qu'obscurité pour son intelligence, pour ses facultés naturelles. Il est vrai que la foi est une lumière, mais une lumière, comme je le disais la dernière fois, qui nourrit notre intelligence d'une vérité formulée en

termes analogiques1, vérité que nous ne pouvons pas pénétrer. L'objet essentiel de la foi est obscur.

Il résulte de ce fait que nos facultés, se trouvant devant ce mystère, cette obscurité, s'en lassent assez rapidement : d'où les distractions et la fatigue de la prière. Je me mets en prière, je récite une prière vocale qui nourrit mon intelligence ; je puis aussi nourrir ma prière d'une méditation sur une vérité dogmatique ou une attitude de Notre Seigneur dans l'Évangile, au cours de sa vie. Mais voici qu'assez promptement, mes sens se fatiguent et ils accusent leur fatigue par la distraction : ils se portent sur d'autres objets. Mon intelligence elle-même, faite pour la lumière, ne peut pas se résigner à cette obscurité ; elle ne comprend pas et veut faire diversion vers des sujets qui lui offrent plus de clarté. Elle revient donc vers ses préoccupations, d'où les distractions et la fatigue dans la prière.

Il en résulte ceci : après avoir prie quelques instants, j'ai l'impression que ma prière est inutile, que je n'arrive pas à maîtriser mes facultés qui n'en veulent plus, qui se portent vers autre chose, et je cesse la prière. C'est alors que l'activité de Dieu intervient.

Des antennes réceptives :

les dons du Saint-Esprit

Comment Dieu intervient-il ? Je disais la dernière fois que chaque fois que nous prenons un contact avec Dieu par la foi, nous nous enrichissons de grâce, de substance divine ; non pas de substance divine incréée, de Dieu lui-même, mais de cette réalité divine qu'est la grâce, participation de la vie de Dieu. Là ne se borne pas le fruit de ce contact et de la prière. Dieu intervient directement sur le plan psychologique, c'est-à-dire dans l'exercice de mes facultés, pour perfectionner la prière.

Comment peut-il intervenir ? Par les dons du Saint-Esprit. Dans notre organisme surnaturel, nous avons en effet la grâce proprement dite qui se greffe sur l'essence de notre âme, qui nous fait enfants de Dieu, qui nous fait Dieu par participation. Nous avons les vertus théologales et les vertus morales infuses2, qui sont des principes d'activité, comme les organes, les membres de notre vie surnaturelle, de notre grâce.

Le catéchisme nous apprend que nous recevons aussi les dons du Saint-Esprit. Peu de chrétiens sont familiarisés avec la doctrine des dons du Saint-Esprit ; ils sont en partie excusables

et évidemment tout à fait excusés, car les théologiens ne s'aventurent qu'avec beaucoup de prudence dans l'explication des dons du Saint-Esprit, en raison même de la difficulté que présente ce sujet, au point de vue non pas seulement dogmatique mais surtout psychologique. Essayons d'éclairer ce problème.

Les dons du Saint-Esprit, qui font partie de notre organisme surnaturel, sont non pas des puissances d'activité comme les vertus, mais des organes réceptifs, des antennes réceptives pour ainsi dire. De même que l'antenne saisit les ondes hertziennes, de même les dons du Saint-Esprit, qui font partie de notre organisme surnaturel, peuvent servir et servent effectivement à saisir comme les ondes divines lancées par Dieu.

Ces dons du Saint-Esprit ne sont pas supérieurs aux vertus, qui sont des puissances actives. Les vertus de foi, d'espérance et de charité, entrant en contact avec Dieu, dans l'essence même de Dieu, ne peuvent pas être dépassées : il n'y a rien au-dessus d'elles. Mais les dons du Saint-Esprit viennent perfectionner les vertus dans leur exercice.

Tout à l'heure, faisant appel à votre expérience pratique de la prière, je vous disais que, lorsque nous prions, que nous avons pris contact avec Dieu par un acte de foi, d'adoration, d'amour, par une prière vocale qui nous facilite ces actes surnaturels, assez promptement

nous sommes lassés. Nos sens se fatiguent de ne rien sentir ; notre intelligence faite pour la clarté est, elle aussi, promptement fatiguée de ne rien voir et de ne pas trouver son aliment normal qu'est la vérité claire, pour laquelle elle est créée et adaptée. Donc la vertu de foi greffée sur l'intelligence retombe, parce que l'intelligence qui lui sert de support, à la base de son activité, se détourne elle-même de son objet : le contact est perdu.

C'est alors qu'intervient l'action de Dieu par les dons du Saint-Esprit. Ces antennes que sont les dons du Saint-Esprit sont greffées, si nous voulons les localiser au point de vue psychologique, à l'intersection des vertus surnaturelles et des facultés. Ce qu'elles vont recevoir de Dieu, les ondes divines qui vont leur arriver, parviendront à cette intersection des vertus théologales, des vertus infuses et des facultés sur lesquelles elles se trouvent.

Prenons l'exemple de la vertu de foi : l'action de Dieu par les dons du Saint-Esprit va arriver au sommet de l'intelligence, là où se fait pour ainsi dire le point de contact entre l'intelligence et la foi. Et que va-t-il se produire ? Dans ce domaine nous ne pouvons que faire appel à l'expérience des âmes contemplatives et des théologiens.

Un théologien comme saint Thomas3,

nous dira qu'il y a trois dons du Saint-Esprit qui sont des dons contemplatifs : le don de science, le don d'intelligence et le don de sagesse. Chacun d'eux a sa mission particulière, sa fonction spéciale. Je m'empresse de vous dire que cette distinction entre les dons est une distinction que l'on pourrait dire superficielle, qui n'atteint pas le fond des choses ; cependant il est bon de la faire pour clarifier le problème.

Apaisement des sens :

le don de science

Lorsque nous nous mettons en prière, nous disons d'abord que nos sens se fatiguent de ne rien percevoir ; la foi a pénétré en Dieu mais Dieu, c'est le mystère, l'obscurité. Voici que Dieu va intervenir par le don de science : cette antenne fera parvenir ces perceptions aux sens, sens intérieurs et sens extérieurs.

Quel est le résultat de cette action de Dieu ? C'est le calme mis dans les sens ; c'est une impression d'apaisement, qui peut être savoureux ou parfois douloureux, mais enfin un apaisement qui peut aller jusqu'à une certaine ligature des facultés, des sens. Mais apaisement ou ligature douloureuse qui va provoquer l'arrêt de l'activité dans les sens, et permettre à la foi de rester en Dieu.

Des clartés apaisantes :

le don d'intelligence

A cette action de Dieu par le don de science s'ajoutera comme normalement une action de Dieu par le don d'intelligence. Par ce don, qui n'est pas l'intelligence mais une antenne lui aussi, arrivent des clartés surnaturelles qui vont à l'intelligence ; ces clartés pourront être distinctes et donc éclairer l'intelligence sur tel ou tel point, telle ou telle vérité. Il pourra même y avoir, dans certains cas, des lumières sur l'avenir, lumières extraordinaires. Mais, d'une façon habituelle, ces lumières de Dieu qui arrivent par le don d'intelligence et parviennent ainsi à la faculté humaine naturelle d'intelligence, sont des lumières transcendantes qui l'éblouissent. Elles lui fournissent certaines clartés mais la maintiennent dans l'obscurité. Elles ont cependant cet avantage d'apaiser l'intelligence, de pénétrer jusque dans ses profondeurs, d'arrêter le raisonnement.

Nous avons, dans notre faculté d'intelligence, la faculté raisonneuse et plus loin, plus profonde et plus parfaite, une puissance d'intuition. Les lumières qui arrivent par le don d'intelligence apaisent la première faculté, la première puissance de raisonnement. L'âme ne sait plus, ne peut plus raisonner, du moins quand elle est sous l'action du don d'intelligence. Mais voici que la puissance d'intuition se nourrit, plus ou moins consciemment, de ces lumières qu'elle reçoit.

Saveur dans la volonté :

le don de sagesse

Enfin le don de sagesse, qui est aussi une antenne, reçoit une communication de Dieu, qui est une saveur ; saveur qui va pénétrer dans la volonté, dans toutes les facultés de l'âme et y produire un apaisement savoureux.

Dans cet état, l'âme est donc apaisée, peut-être douloureusement ; ne croyons pas qu'une action de Dieu par les dons du Saint-Esprit sera toujours très douce, en d'autres termes que la douceur va dominer. Il est possible que ce soit la souffrance ; et normalement, cette action de Dieu doit toujours produire une certaine souffrance, même lorsqu'il y a de la douceur. La paralysie et la souffrance sont un signe plus certain de l'action de Dieu que toutes les douceurs que l'on peut recevoir.

Cependant l'intelligence est éclairée par ces lumières, la volonté reçoit une certaine saveur : ne vous étonnez pas de ces antinomies dans les perceptions, de ces apparentes contradictions de souffrance et de douceur, de paralysie et d'apaisement. L'action de Dieu dans l'âme est toujours marquée par ces antinomies et s'il n'y en avait pas, on pourrait dire qu'il n'y a pas d'action de Dieu ; car ces antinomies c'est-à-dire ces apparentes contradictions, cette perception simultanée de choses

apparemment contraires, sont le signe le plus certain d'une authentique action de Dieu.

Attirance vers l'obscur

Sous cette action de Dieu à la fois apaisante, éclairante et savoureuse, l'âme se sent attirée vers l'obscur. Elle ne perçoit rien, elle perçoit plus que jamais la transcendance de Dieu dans l'obscur, mais en même temps elle se sent attirée par cet obscur. Et il lui parait beaucoup plus délicieux, beaucoup plus désirable et attrayant que toutes les lumières précises et distinctes qu'elle pourrait acquérir par un simple travail de l'intelligence.

Sainte Thérèse traduisait cela en disant : " Moins je comprends, plus je crois et plus j'aime "4. La vertu de foi continue alors à s'exercer c'est-à-dire à chercher le contact avec Dieu, à pénétrer en Dieu ; et elle y pénètre, poussée par cette saveur qu'elle y trouve, par cette obscurité non point lumineuse mais savoureuse qui descend sur tout elle-même. Elle a plus d'attrait à entrer dans l'obscurité divine que dans les lumières qu'elle peut recevoir de temps en temps.

II. — FOI VIVE, FOI CONTEMPLATIVE

La foi ainsi perfectionnée par l'apaisement des facultés inférieures naturelles, grâce à la nourriture qui leur est servie par l'action de Dieu, devient ce qu'on appelle une foi vive. Joseph du Saint-Esprit, un de nos théologiens carmes qui a fait la théorie de ces réalités, théorie d'ailleurs devenue classique, nous dit que la contemplation — car c'est cela, la contemplation : cette foi vive en exercice —, n'est pas autre chose que la foi perfectionnée, illustrée, éclairée par l'exercice des dons du Saint-Esprit5. Cette foi vive qui va vers Dieu, c'est la foi contemplative, foi vive désormais attirée par l'obscurité de Dieu et qui reste en contact avec cette obscurité parce que tout, en elle, est apaisé, douloureusement encore une fois mais réellement cependant.

La contemplation est donc ici le fruit de l'activité humaine et de l'activité divine, c'est-à-dire de la vertu de foi — qui nous est donnée —, accompagnée et perfectionnée par l'activité de Dieu par les dons du Saint-Esprit. C'est la contemplation, qui n'est plus simplement un contact mais une union avec Dieu,

dans laquelle il y a échange. L'âme cherche Dieu avec toutes ses puissances ; Dieu se donne à l'âme, il perfectionne l'activité de ses facultés et lui-même se donne.

Perfectionnement des facultés

Que se passe-t-il dans cette union de la contemplation ? Il y a d'abord un perfectionnement de nos facultés ; ne croyez pas que la paralysie signifie ici une diminution de l'activité humaine et soit une déchéance psychique. Quand nous étudions ces divers états d'illumination et de contemplation avec les psychiatres dans nos congrès de psychologie, ils nous font remarquer, à juste raison, que ces états contemplatifs sont étonnamment ressemblants à certains états pathologiques ; sur le plan de l'expérience purement psychologique, il n'y a semble-t-il pas de différence.

Cependant il y a cette différence notable :

le cas pathologique produit une déchéance, une diminution de l'individu, de l'activité de ses facultés, de leur puissance, de leur fécondité ; tandis qu'au contraire ces états, apparemment semblables, causés par l'action de Dieu, produisent un développement de la puissance des facultés, et en même temps une augmentation de la fécondité de ces âmes.

C'est ce qui a permis de comparer le comportement d'une sainte Thérèse d'Avila

— cela a été fait avec une certaine malignité —, à l'hystérie, et d'écrire des ouvrages où on prétend qu'elle était une hystérique. A comparer les états, nous pourrions peut-être dire que, en effet, entre tel ou tel état qu'elle a vécu pendant un certain nombre d'années de sa vie, et l'hystérie, il y a très probablement des ressemblances. Mais nous savons ce que devient l'hystérique, comme il déchoit ; alors que nous voyons sainte Thérèse, après être passée par ces états mystiques, devenir une des plus belles intelligences qui ait jamais paru dans le monde, et produire des actes qui ne sont pas le fruit seulement d'une haute intelligence, mais pour lesquels est nécessaire, véritablement, le génie.

C'est ce qui permettra aussi d'expliquer une sainte Thérèse de Lisieux. Notre revue Carmel publiera prochainement les devoirs de style et les narrations faites par Thérèse Martin pendant les deux années qui précédèrent son entrée au Carmel, ainsi que l'appréciation que nous avons demandée à des professeurs6. Elle peut se résumer en cette parole : " une élève comme les autres, tout à fait moyenne ".

Et voici que cette jeune fille, recevant sa grâce de Noël7, puis entrée au Carmel et

passant par des états contemplatifs, pourra quelques années plus tard écrire ces belles pages de littérature que nous trouverons dans l’Histoire d'une âme ; pages que l'on peut admirer, du moins certaines, au point de vue littéraire, mais dont nous devons admirer la fécondité surnaturelle pour la révolution spirituelle qu'elles ont réalisée dans le monde.

C'est l'effet de la contemplation, de l'action de Dieu dans l'âme qui est venue perfectionner l'activité naturelle, faire de la foi une foi vive, réaliser l'union et, grâce à cette union, perfectionner en même temps les facultés.

Transformation d'amour

Grâce à cette union, l'échange s'établit avec Dieu et Dieu fait descendre sa grâce, transforme cette âme, la prend sous sa domination, en fait véritablement une enfant de Dieu. L'apôtre saint Paul, définissant le saint et l'enfant de Dieu, dit : " Ceux-là sont les enfants de Dieu qui sont mus par l'Esprit de Dieu "8. L'Esprit Saint pourra, grâce à cette union réalisée avec l'âme, faire passer sa lumière qui l'éclairera, ainsi que ses motions qui iront à la volonté et dirigeront cette âme.

Qu'est-ce que le saint ? Ce n'est pas nécessairement celui qui fait de grandes mortifications, ou du moins ce ne sont pas ces mortifications qui le font saint ; ce ne sont même pas les miracles qu'il peut réaliser qui constituent la sainteté, même s'ils en sont le signe authentique. La sainteté est constituée par cette domination de l'Esprit Saint dans l'âme, qui à tout instant l'éclaire, la meut et fait de cette âme, de cet homme, du saint, un autre Christ, une humanité de surcroît du Christ, en qui il peut faire toute son œuvre et par qui il peut réaliser son œuvre dans le monde.

Cette union de la contemplation est une véritable communion. Nous avons la communion sacramentelle, eucharistique, dans laquelle nous recevons le corps, le sang, l'âme et la divinité de Jésus, communion qui opère " ex opere operato ", c'est-à-dire qui produit pour ainsi dire nécessairement son effet dans l'âme bien disposée et la nourrit donc de la vie surnaturelle. Nous avons la communion de l'obéissance : la volonté communie à la volonté de Dieu et par là s'établit aussi une union, un lien, une communication. L'âme par cette union de l'obéissance reçoit la lumière, la force et la fécondité de Dieu. Nous avons enfin cette communion qu'est la contemplation.

Ici ce n'est plus seulement une prière, c'est un échange, une descente de Dieu dans l'âme. Par là s'opère une transformation qui n'est pas

une chose extraordinaire mais qui nous est signalée par l'apôtre saint Paul comme une vérité s'appliquant à toutes les âmes, à tous les chrétiens : nous contemplons la beauté de Dieu et par cette contemplation " nous sommes transformés de clarté en clarté, jusqu'à la ressemblance du Verbe de Dieu lui-même "9. Cette contemplation réalise en nous la sanctification, la sainteté. Tels sont les effets de la contemplation.

Collaboration avec l'Esprit Saint

Dans la prière, donc, nous ne devons pas seulement chercher l'aide de Dieu pour les diverses intentions, les divers besoins que nous avons à lui recommander, ou encore la lumière dont nous avons besoin pour telle circonstance, telle démarche à réaliser. Nous devons surtout chercher cette union, cette communication intime avec lui, qui permet alors à Dieu de nous transformer de clarté en clarté jusqu'à sa ressemblance.

Elle nous met sous la domination de Dieu, elle fait que l'Esprit Saint, qui nous a été donné au baptême, puis d'une façon spéciale au jour de notre Confirmation, devient véritablement le maître de notre âme et y règne par la lumière

dont il éclaire notre intelligence, par les motions au moyen desquelles il meut notre volonté. Vous le voyez, il intervient vraiment, d'une façon directe et non seulement momentanée mais habituelle dans notre vie, il nous mène comme il veut, il nous fait réaliser sa volonté.

L'apôtre chrétien, qui veut faire l'œuvre de Dieu dans le monde, doit évidemment lui offrir son activité, sa personne, et en même temps les ressources, tout le superflu dont il peut disposer. Mais s'il veut être le collaborateur de Dieu dans la construction de l'Église, dans le salut des âmes, il doit surtout se mettre sous la domination de Dieu, sous la domination de l'Esprit Saint qui est l'âme de l'Église, l'architecte de l'Église, l'ouvrier qui construit l'Église.

Cet Esprit nous demande évidemment notre activité, la coopération de notre intelligence et de notre volonté, mais il demande surtout que nous respections ses droits. Il veut toujours être lui-même le grand architecte, le grand ouvrier. Il veut et attend de notre part que nous soyons avant tout des collaborateurs et uniquement des collaborateurs de son œuvre et de son travail, qui reste le seul travail fécond.

III. — L'ESPRIT SAINT VIT
DANS NOS ÂMES

Peut-être, en m'entendant vous exposer ces merveilles, qui ne sont pas extraordinaires, vous dites-vous que tout cela est réservé à certaines âmes seulement, aux saints, et que cette contemplation ne peut pas être réalisée par l'ensemble des chrétiens ? Permettez-moi, en terminant, quelques affirmations sur ce point.

Tous appelés

II y a quelques années, on a beaucoup discuté dans les grandes revues spirituelles sur l'appel à la contemplation, et bon nombre d'auteurs semblaient dire que cette contemplation est en effet réservée à certaines âmes. L'opinion actuelle, qui se répand de plus en plus parce qu'elle est vérifiée par l'expérience, est que la contemplation, les dons contemplatifs, en d'autres termes l'action de Dieu dans les âmes, Dieu venant perfectionner la prière, l'activité naturelle de nos puissances dans la prière, que cette action de Dieu, donc, est très fréquente.

Une expérience assez longue dans des milieux bien divers me permet, je crois, d'affirmer qu'en effet ces dons contemplatifs, cette

action de Dieu dans les âmes est actuellement très répandue. Nous n'avons pas à nous insurger contre les opinions qui ont sévi autrefois, nous n'y étions pas pour constater ; nous pouvons simplement dire ce que nous constatons à l'heure actuelle, et je ferai volontiers appel à votre propre expérience.

Les dons de Dieu, les dons contemplatifs sont très répandus. Tout à l'heure, en m'entendant parler de l'apaisement que l'on sent parfois dans la prière, de l'impression d'obscurité savoureuse que l'on y trouve, je pense que beaucoup parmi vous ont senti monter à l'intérieur d'eux-mêmes le souvenir de semblables grâces reçues. Il ne s'agit ici de rien d'extraordinaire, ni de vision ni de lévitation ou d'extase : il s'agit simplement d'impressions de recueillement que l'on a pu sentir dans telle circonstance ou que l'on ressent assez habituellement.

Je suis persuadé que, parmi vous, il en est beaucoup qui une fois ou l'autre, peut-être fréquemment ou habituellement, entrant dans une église, faisant la génuflexion avec attention, regardant le tabernacle, ouvrant leur missel au commencement de la Messe ou prenant un livre de méditation, ont senti cet apaisement, ont éprouvé le besoin de s'arrêter et de regarder le tabernacle. Que faisiez-vous à ce moment-là ? Rien semble-t-il, sinon peut-être savourer justement cette impression, impression qui ne reste

pas, que vous devez peut-être alimenter par une prière, par un regard sur le tabernacle, mais cependant impression que vous avez éprouvée.

Cette impression est normalement produite par les dons du Saint Esprit. On n'a pas à l'attribuer à des circonstances extérieures, pour la raison bien simple qu'elle ne se produit pas toujours alors que les circonstances extérieures restent les mêmes. Mais cette impression — je l'appelle ainsi — est véritablement le fruit des dons du Saint Esprit. L'âme n'y fait point attention, ne la croit pas surnaturelle et c'est pour cela qu'elle la néglige.

Il me paraît que les dons contemplatifs ne se développent pas dans les âmes précisément parce qu'on n'y fait pas attention, on ne les apprécie pas à leur juste valeur et on ne prend pas les moyens pour les développer. Sainte Thérèse faisant allusion à cela nous dit : " Le bon Dieu appelle tout le monde "10. Et il manifeste son appel pratique justement par ces grâces qu'il donne une fois ou l'autre, par ce recueillement, ces lumières ou cette saveur qu'il donnera un jour de fête, au jour de la première Communion ou d'une communion plus fervente, au jour d'une prière, bref lorsqu'il le veut. Mais il ne renouvelle pas sa grâce, il ne la développe pas si l'âme n'y répond pas par la conduite qui convient à de telles grâces.

Il y a à ce moment-là des moyens à prendre. Il ne s'agit pas de changer de situation ni de faire des mortifications extraordinaires ; il s'agit de prendre les moyens qui conviennent précisément à de telles grâces et qui sont exposés dans les livres spirituels, c'est-à-dire, le silence et l'apaisement de l'activité. Il s'agit de mettre dans sa vie le temps de prière qui convient, le temps de prière nécessaire à la grâce de Dieu pour s'épanouir, pour nous conquérir. Il y a là une véritable ascèse mystique11, qu'il faut connaître et qu'il faut pratiquer.

Débordement de miséricorde

Donc, cet appel à la contemplation me paraît général, je n'ose pas dire universel car on ne saurait accuser les âmes qui ne l'entendent ou ne le perçoivent pas, mais enfin c'est un appel général. Permettez-moi de redire ce que je vous disais tout à l'heure : à notre époque, ces grâces contemplatives sont très nombreuses, très fréquentes. A quoi le devons-nous ? Peut-être à l'envahissement du mal.

Quand nous considérons actuellement le monde, nous voyons en effet que les puissances

du mal manifestent une activité effrayante. Quand nous regardons l'Extrême-Orient surtout, et que nous y voyons les conquêtes nouvelles, l'action envahissante du communisme athée, nous pourrions être effrayés pour l'avenir, si nous ne savions pas que notre Église est divine et soutenue par l'Esprit Saint. Et l'Esprit Saint réagit contre cet envahissement du mal, il réagit à sa façon en répandant sa lumière et sa grâce. Les revanches de Dieu sont toujours des revanches de miséricorde. Et dans notre Vieux monde comme dans l'Extrême-Orient — nous avons pu le constater en lisant ce qui a été écrit sur Shanghai12 —, il y a une action de Dieu, une action de l'Esprit Saint vraiment admirable.

Oui, cette action est admirable et nous ne devons pas laisser passer la grâce. Lorsque le Christ est venu en Palestine, les Juifs, qui l'attendaient cependant, qui avaient été choisis pour l'attendre et préparer son Royaume, ne l'ont pas reconnu : ils attendaient autre chose. Souhaitons qu'il n'en soit pas de même pour nous, que le Christ revenant, que l'Esprit de Dieu se manifestant dans les âmes, ne nous trouvent pas nous-mêmes impréparés et attendant autre chose, un triomphe temporel, un

triomphe peut-être politique, un triomphe suivant notre goût ou nos idées.

Oui l'Esprit Saint vit dans nos âmes, l'Esprit Saint vit dans notre monde, et il manifeste sa vie ; il la manifeste par sa grâce, par ses emprises qui sont des appels pour chacune de nos âmes. Et cette emprise de Dieu, que nous sentons, que nous avons parfois expérimentée, qui se sent dans la masse du peuple chrétien, produit actuellement en lui un désir, une inquiétude. Oui, beaucoup d'âmes cherchent le moyen de répondre à cet appel de Dieu, de cultiver cette grâce qu'elles sentent, qu'elles expérimentent au moins obscurément. Elles cherchent des méthodes, elles cherchent une doctrine pour développer cette grâce, pour aller vers ces régions où elles se sentent obscurément appelées.

Nous essaierons de préciser la part de la doctrine, de dire ce que nous devons faire pour recueillir cette grâce.

Enfin, pour éclairer tout cet enseignement d'une façon pratique, nous irons au Maître, à Jésus, qui est venu ici-bas pour nous porter la lumière d'en-haut et nous donner aussi la lumière de marche ici-bas. Nous considérerons le Christ dans sa contemplation pour savoir comment faire pour prier et contempler comme lui, c'est-à-dire pour marcher dans sa voie, pour aller dans ces régions où il doit nous entraîner, à la contemplation suprême dans la Trinité sainte.

NOTES

 

1. Sur le langage analogique, voir chap. précédent, p. 102.

2. Cf. chapitre sur la grâce baptismale, supra, p. 83.

3. Cf. Somme théologique. Ia IIae, q. 68.

4. Cf. Relations, 22 septembre 1572, p. 551.

5. Cf. Je veux voir Dieu, p. 307.

6. Voir effectivement, " Devoirs de style et narrations de Thérèse Martin " dans Carmel, avril-mai-juin 1957, II, p. 81-107.

7. Cf. le récit de Thérèse elle-même, Manuscrit A, 44 v° et s.

8. Rm 8, 14.

9. 2 Co 3, 18.

10. Cf. Chemin de la Perfection, ch. 21, p. 682-683.

11. Ascèse mystique, c'est-à-dire " adaptée à l'action de Dieu par les dons " (Je veux voir Dieu, p. 321) ; ou " la conduite que doit tenir l'âme pour se préparer et répondre à l'action de Dieu " (p. 556). Cf. l'explication plus détaillée dans Je veux voir Dieu, p. 318-321 et p. 554s.

12. Allusion au livre de J. LEFEUVRE, Les enfants dans la ville, Coll. Église vivante, Casterman, Tournai-Paris, 1957 (1re éd. 1954), chronique de la résistance héroïque des étudiants catholiques de l'Université Aurore de Shanghai (1952-1955), à la violente persécution du pouvoir communiste.